Nous vous proposons, une brève histoire du canal de Garonne. Les vicissitudes de la construction et de l'exploitation du canal méritent d'être relatées afin de mieux découvrir et apprécier ce patrimoine fluvial. Toute une histoire!
Dans la partie "Le projet" vous découvrirez comment le projet de canal entre Toulouse et Bordeaux fut relancé.
La rubrique "C'est parti" relate le début de la construction du canal.
"Le doute", vous apprendrez comment l'arrivée du chemin de fer a compromis la finition du canal.
Enfin, la partie "On continue" retrace l'exploitation du canal jusqu'à nos jours.
Pour approfondir, vous pouvez lire l'excellent livre de Jacques Dubourg "Le canal de Garonne, quand les hommes relient les mers" aux éditions Dossiers d'Aquitaine / ISBN 2-84622-043-3. Vous pouvez aussi cliquer sur les images du Mémoire et des Annales pour accéder à ces ouvrages historiques.
Le canal de Garonne est en fait la deuxième partie du canal des deux mers, voulu depuis des siècles par les empereurs romains ou les rois de France. Pierre-Paul Riquet, le créateur du canal du Midi l'avait envisagé dans son projet initial. Mais l'ampleur financière et humaine des travaux de la partie languedocienne ne lui permettra pas de faire aboutir l'ensemble du projet.
Le besoin pour la navigation a toujours été de permettre la liaison entre la mer Méditerranée et l' océan Atlantique, par « l'isthme gaulois » puis par la Garonne. Mais ce fleuve est difficilement navigable en raison de son débit capricieux, ou autrement dit, en raison de son régime hydrologique de type nival. Ce régime nival est caractérisé par des crues de printemps et de faibles débits en été. Rappelons-nous les dernières grandes crues du 23 juin 1875 à Toulouse provoquant le décès de 200 personnes et celle du 3 mars 1930 dévastant Moissac, avec près de 120 morts et 6000 personnes sans abri. Il existe aussi le problème du lit du fleuve, avec de faibles profondeurs à certains endroits, comme à l'aval de Toulouse ou de Moissac, ne faisant qu'accentuer le problème des étiages. La navigation sur la Garonne était donc difficile et épisodique depuis des siècles, aux grands risques des bateliers.
A partir de 1681, à la fin des travaux du canal du Midi, il est nécessaire de transborder à Toulouse les marchandises des barques du canal du Midi sur d'autres bateaux de plus faible tonnage, pour pouvoir continuer jusqu'à Bordeaux. Il faut 5 jours pour descendre la Garonne jusqu'à Bordeaux et surtout 15 jours pour remonter les marchandises dans l'autre sens. Et tout cela reste des moyennes, vu les conditions aléatoires de navigation sur le fleuve. A comparer avec les 5 jours pour relier Toulouse à Sète (dans les deux sens), villes distantes de 240 km, on comprend aisément les problèmes financiers engendrés par la navigation sur la Garonne. Le transport fluvial à travers le sud-ouest de la France va rester dans ces conditions jusqu'au début du 19e siècle, n'atteignant pas ses ambitions originelles. Avec la révolution industrielle, la nécessité du canal latéral à la Garonne resurgit. Bien que la région ne soit pas industrielle, le passage entre les deux mers est toujours d'un intérêt capital pour le commerce entre les pays.
En ce début de 19e siècle, l'avantage de la construction d'un canal latéral à la Garonne est clair pour tous, apportant la sécurité et la maîtrise des coûts de la navigation.
Le 17 décembre 1828, une ordonnance est votée prescrivant l'étude de ce canal. Une société privée de Bordeaux, la Cie Magendie se voit attribuer cette étude, confiée plus particulièrement à
Alexandre Doin. Au travers d'un mémoire de 1832, Alexandre Doin présente tous les avantages du futur canal. Le document exhaustif compare les coûts de navigation du futur canal avec ceux du
chemin de fer, ceux du passage par Gibraltar ou encore par l'hypothétique canal des Pyrénées. Ce dernier constituait en effet un autre projet de liaison fluviale jusqu'à Bayonne, par un canal
remontant en amont de Toulouse et se raccordant à l' Adour après avoir traversé le plateau de Lannemezan.
Le projet du canal latéral à la Garonne est monté aux frais de la Cie Magendie. En 1830, cette compagnie, en accord avec l'État, charge Jean-Baptiste de Baudre, Inspecteur Divisionnaire des Ponts
& Chaussées, de l'étude technique de la réalisation du canal. Nommé à Agen en 1825, J-B de Baudre avait été précédemment chargé de l'étude d'une navigation améliorée sur la Garonne. De Baudre
est convaincu que la solution du canal est la meilleure. La proposition de la Cie Magendie va correspondre pour lui à une opportunité rêvée de travailler sur un grand projet. S'entourant
d'ingénieurs de qualité, comme Jean-Gratien de Job, Jean-Baptiste de Baudre est considéré comme le « père » du canal de Garonne. A l'instar de Pierre-Paul Riquet pour le canal du Midi,
M. de Baudre ne verra pas la fin des travaux du canal de Garonne. Il décède en 1850. Après la parution du mémoire déjà cité d' Alexandre Doin, la loi du 22 avril 1832 lui confie la maîtrise
d'oeuvre et à la Cie Magendie la concession du futur canal. Mais Alexandre Doin décède et le projet est alors confié en totalité à Jean-Baptiste de Baudre.
En 1839, l'adjudication des travaux est faite et la construction commence simultanément à différents endroits. En grande pompe, le Duc d'Orléans, fils aîné de Louis-Philippe, accompagné de son
épouse, la princesse Hélène de Mecklembourg (plus connue pour avoir popularisé la coutume du sapin de Noël), pose le première pierre du pont-canal d'Agen le 25 août 1839.
Les travaux se poursuivent, et une première mise en eau permet dès 1845 aux barques d'atteindre le nouveau port de Moissac. En 1848, c'est Agen qui est relié à Toulouse par la nouvelle voie d'eau.
Cependant, au début de la décennie 1840, la France est très en retard sur le développement du chemin de fer, contrairement à d'autres pays comme le Royaume-Uni, ou encore l'Allemagne. La première ligne pour voyageur entre Paris et St-Germain-en-Laye ne date que de 1837. Notons que cette ligne de chemin de fer est proposée et financée par les frères Émile et Isaac Pereire, banquiers et hommes d'affaire, que nous retrouveront un peu plus tard protagonistes dans l'histoire du canal de Garonne. Par la loi du 11 juin 1842, le gouvernement lance la « charte des chemins de fer », projetant l'extension rapide du réseau ferré et l'établissement de grandes lignes au départ de Paris, mais aussi transversales. Les énormes et rapides profits faits par les nouvelles compagnies de chemin de fer attisent l'ardeur de nombreux spéculateurs. Les concessions sont attribuées par l'État pour plusieurs décennies, assurant donc la rentabilité. Le train, c'est l'avenir ! Ainsi, la construction de la ligne de chemin de fer entre Bordeaux et Sète, via Toulouse, est lancée après 1850. La mise en service doit s'effectuer progressivement entre 1855 et 1858.
En 1850, la construction du canal de Garonne rencontre des problèmes financiers. La question de la poursuite des travaux est alors posée, vu la future concurrence de la voie ferrée projetée. Les opposants au canal deviennent nombreux et sont influents. Certains vont même jusqu'à proposer le comblement du canal inachevé pour y poser les rails. Des enquêtes sont lancées par le Ministre des Travaux Public Pierre Magne, auprès des élus locaux et le résultat est sans appel : c'est la mort du canal dans sa partie en aval de Moissac. Et des conséquences sont à craindre pour le canal du Midi.
Par intérêt économique, la ville de Bordeaux reste favorable au canal, ainsi que quelques communes de la rive gauche de la Garonne, oubliées par la future voie ferrée. L' État mesure de son côté les dépenses déjà engagées pour la construction du canal et préfère opter pour la poursuite de la voie d'eau. Et c'est ainsi que la loi du 8 juillet 1852 donne la concession simultanée de la voie ferrée et du canal, à la compagnie de chemin de fer locale. La durée de la concession est fixée à 99 ans. Ainsi est créée « la Compagnie des Chemins de Fer du Midi et du Canal Latéral à la Garonne ». La loi stipule en particulier la finition simultanée des travaux du canal et de la voie ferrée. Le sort des deux voies est désormais lié ! Mais avec les frères Pereire qui prennent le contrôle de la nouvelle compagnie le 24 août 1852, c'est plutôt le destin du canal qui est scellé !
Après ces péripéties politiques et juridiques, et malgré le dépassement du budget alloué, les travaux continuent. Ainsi, les bateaux naviguent depuis Toulouse jusqu'à la Baïse en 1852, et le village du Mas d'Agenais l'année suivante.Le 12 mars 1856, la canal latéral à la Garonne est officiellement ouvert en totalité à la navigation, atteignant Castets-en-Dorthe en Gironde. De quelques centaines à plusieurs milliers d'hommes et de femmes ont travaillé durant dix-sept années pour réaliser le « chaînon manquant » de l'ancestral projet de liaison des deux mers.
En parallèle (dans tous les sens du terme), les travaux de la voie ferrée sont menés avec plus d'ardeur par la Compagnie. Les premiers trains commencent à circuler depuis Bordeaux en mai 1855 vers Langon, en décembre 1855 pour Tonneins et en août 1856 jusqu'à Toulouse. Il est amusant de noter que la construction du rail est partie en sens inverse de celle du canal.
Si le canal de Garonne supplante rapidement le transport fluvial par le fleuve Garonne, l'essor va être de courte durée pour les « sapines » et « coutrillons » du canal. La Compagnie de Chemins de Fer, qui rappelons-le gère la voie ferrée et le canal, va porter un premier coup fatal à la voie d'eau. Un triplement des redevances (de 2 à 6 cts/t/km) sur le canal est institué par la Compagnie, ramenant ainsi le prix entre les deux voies de communication à quasi-égalité. Avec la rapidité et l'exactitude du train, c'est ce dernier qui va « gagner », assurant d'importants et rapides profits à la Compagnie.
Et c'est l'État qui donne le « coup de grâce » au canal. Le contrat du 29 mai 1858 et le décret du 21 juin suivant autorisent en plus l'exploitation du canal du Midi par la Cie des chemins de fer, pour une durée de quarante ans. Malgré la controverse de cette démarche, la Compagnie possède désormais le monopole du transport dans le sud-ouest de la France. Ainsi, de nombreux bateliers cessent leur activité durant la fin du XIXe siècle.
Le trafic sur le canal va rester marginal (25 000 t) et ne décollera que lors de crues empêchant momentanément les trains de circuler. L'espoir renaît le 5 août 1879 avec une loi édictant la modernisation des canaux au « gabarit Freycinet » pour toute la France. Mais ceux du « Midi » ne sont pas concernés, par manque d'argent et d'intérêts. Comme c'est bizarre ! Notons que Charles Louis de Saulces de Freycinet, ministre des Travaux-Publics entre 1877 et 1879 a été avant 1870 « Chef d'Exploitation » de ... la Compagnie des Chemins de Fer du Midi. Sans oublier que Charles de Freycinet a lancé en 1878 un vaste programme de construction de voies ferrées, pour « que toute sous-préfecture soit desservie par le train ». Les conflits d'intérêts sont quelques fois difficiles à gérer !Face à cette gestion désastreuse du commerce fluvial, l'État reprend enfin la gestion du canal des deux mers en novembre 1897, et le 1er janvier 1898 en devient propriétaire. La Cie est bien sûr dédommagée de plusieurs dizaines de millions de Francs de l'époque. Le trafic reprend (75 000 t en 1897, 150 000 t en 1903) après la suppression des redevances de navigation et un timide programme de modernisation en 1903. La Grande Guerre met en sommeil tous ces projets pour longtemps. Vers 1930, la disparition du halage à l'aide des chevaux est un progrès important pour le trafic, avec l'arrivée des bateaux motorisés. Des « vapeurs » parcourent aussi le canal, avec leurs roues à aubes en bout de l'embarcation, s'adaptant ainsi à la larguer du canal. Plus tard, en 1974, la pente d'eau de Montech est mise en service, et des écluses sont rallongées et automatisées, facilitant ainsi la navigation. Mais en 1990, c'est l'abandon définitif de modernisation du canal.
Essentiellement marchande jusqu'aux années 1970, la navigation sur le canal de Garonne est désormais « plaisancière », comme sur le canal du Midi. Les bateaux de location représentent plus de 70% du trafic, avec 20% pour les particuliers et environ 6% pour les bateaux à passagers. En 2000, la péniche « Babette » arrête son activité : c'était le dernier bateau marchand. Sans renier l'intérêt touristique du canal dans la région, la reprise d'un trafic commercial serait, à l'instar des canaux du nord de la France, une alternative au problème de transport du fret.
Aujourd'hui, la fréquentation de plaisance est en moyenne de 1200 bateaux par année, avec des pointes à 2000 sur le secteur Montech - Mas d'Agenais. Plus tranquille que le canal du Midi avec ses 5 000 à 7 000 passages, le canal de Garonne possède de nombreux atouts pour vous inciter à venir le naviguer ou le découvrir tout simplement à pied ou en vélo à l'ombre de ses arbres.
Merci à Jacques DUBOURG pour sa relecture.